Mille colombes

Le paradigme de la non-violence

 

 

Nous reproduisons ici une fiche de lecture publiée par Pressenza.

Alain Refalo, Le Paradigme de la non-violence. Itinéraire historique, sémantique et lexicologique [Raphaël Porteilla / Notes de lecture]

 

Le dernier ouvrage d’Alain Refalo, enseignant et militant de la non-violence, est une vraie somme, une véritable anthologie de la non-violence. C’est en effet à notre connaissance, (hormis le dictionnaire sur la non-violence de Jean-Marie Muller), le premier ouvrage dans l’espace francophone qui embrasse toutes les questions portées par le concept de non-violence, qui les discute, les argumente et en fixe les perspectives d’avenir. Comme le sous-titre de l’ouvrage le laisse découvrir, « cet itinéraire historique, sémantique et lexicologique » du paradigme de la non-violence (re) visite à la fois les origines de l’idée, les pratiques qui s’en réclament et les recherches qui ont tenté (en France timidement) de donner à voir un concept opérationnel et efficace, bref un ouvrage pour aider à penser et définir la non-violence.

 

À travers une culture impressionnante sur le sujet et un phrasé très clair et peu jargonnant, l’auteur restitue en plus de 500 pages l’histoire du mot non-violence qui puise ses racines assez loin dans le temps, aborde ses nombreuses traductions et trajectoires d’un contexte à l’autre et enfin scrute ses modes d’utilisations variant selon les situations tout en focalisant sur sa réception en France.

 

De manière toujours didactique, A. Refalo permet de lever les nombreuses confusions que génèrent le mot et l’idée de non-violence. Pour ce faire, l’auteur nous entraine dans une démarche socio-historique riche et foisonnante depuis la préhistoire du mot (c’est-à-dire ses acceptions avant que le mot ne soit formalisé et qui suggèrent déjà les difficultés à l’appréhender) en s’arrêtant bien sur les apports de Gandhi. Ce passage important permet de restituer l’émergence de certains termes en fonction de leur contexte (la satyagraha) pour découvrir comment l’Ahmisa a été traduit par non-violence.

 

La réception en France de la non-violence permet une nouvelle immersion dans les réflexions et travaux de certains penseurs/activistes de la non-violence, Romain Rolland, Lanza del Vasto ou Jean-Marie Muller. Cette découverte/redécouverte d’auteurs connus et moins connus est mise en miroir avec d’autres auteurs internationaux (Clara Wichman, Abdul Ghaffar Khan, Aldo Capitini, Martin Luther King, César Chavez, Adolfo Perez Esquivel, Ziad Medoukh, sans oublier le pape François), dans une perspective réflexive tout à fait stimulante.

 

Ce travail d’ampleur aboutit à l’élaboration d’une définition de la non-violence à vocation universelle en prenant soin de définir d’autres concepts adjacents (violence, conflit, force, …).

 

Pour l’auteur, « la non-violence est la fois un principe éthique et une méthode d’action qui porte un projet de transformation sociale et politique. Elle est fondée sur le respect de la vie et la délégitimation de la violence. Elle propose une stratégie de lutte basée sur la cohérence entre la fin et les moyens pour exercer une contrainte sur l’adversaire. Elle vise à pacifier les relations humaines, à résoudre positivement les conflits interpersonnels et ceux de la cité et à construire une société plus juste et plus fraternelle sans jamais recourir à la violence ».

 

Cette définition ouvre ainsi sur de nouvelles pistes de réflexions et sur la capacité de la non-violence à devenir un nouveau paradigme civilisationnel susceptible de répondre aux nombreux défis de notre temps.

 

L’auteur ne se contente pas d’évoquer le champ des idées, il invite aussi à mettre l’idée en action, à lui donner une dimension plus pragmatique que pourtant certains lui contestent. Pour ce faire, A. Refalo explore les diverses déclinaisons lexicales de la non-violence en action en illustrant et discutant l’action non-violente, la désobéissance civile, la résistance civile, l’intervention civile de paix, soit autant de formes (et bien d’autre encore si on pense aux 198 modes opératoires recensés par Gene Sharp) qui ont pu être observés dans différents contextes. L’auteur porte aussi un regard fort pénétrant sur la non-violence politique, en tant que projet de transformation politique et sociale. Dans ce sens, en revisitant les précurseurs (La Boétie et Thoreau), l’auteur met en relief la nécessaire critique radicale de la violence dans les processus de luttes politiques ou sociales sans omettre de mettre en réflexion la question de la « révolution non-violente », ce qui permet de croiser d’autres thèmes comme l’anarchisme, le socialisme ou la démocratie.

 

Si pour parachever son travail d’une densité certaine, l’auteur suggère des explorations et des développements en consacrant un passage aux débats relatifs à l’orthographe du concept non-violence (avec sous sans tiret) ainsi qu’au concept de culture de la non-violence en traçant quelques ponts avec la culture de la paix, on pourra néanmoins regretter l’absence d’une bibliographie ainsi que celle d’un index des principaux sites ou centres de recherches (au moins en français) ayant la non-violence en partage.

 

Il n’en reste pas moins que cet ouvrage fera date dans le champ des recherches sur les idées politiques en marge de la sphère académique, française principalement, qui a toujours privilégié pour diverses raisons la guerre et la violence comme objet d’études, et qui pourrait trouver en ce magistral ouvrage un moyen de se pencher sur ces thèmes porteurs d’avenir tels que la non-violence et la paix dans un monde qui a bien besoin de nouvelles boussoles pour que l’humanité ne sombre pas dans le désastre.

 



20/05/2024
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